Carnet d'un naturaliste-sportif

Monday, November 05, 2007

Une forêt celtique

Le Wasserwald...Voilà un lieu que je trouve magnifique. A commencer par son nom: quelle en est la traduction exacte? Forêt humide; forêt arrosée; source forestière? Le site se trouve en effet sur un sommet surplombant de plus de 250m la profonde vallée de la Zorn, entre le village mosellan de Hultehouse, et le hameau alsacien de Stambach, et entouré de deux sources.





Les traces de l'occupation humaine antique de cet endroit, ajoutées au caractère fascinant et enchanteur de la forêt ont fait que je m'y aventure souvent. Parfois à vélo, parfois en marchant, mais bien sûr le plus souvent en courant.


Cela dit, une de mes dernières visites a eu lieu au cours d'une randonnée avec mes élèves et au cours de laquelle mon illustre ancien voisin M. Morot nous a rejoint afin de fournir à tous des explications passionnantes sur la vie gauloise qui y a existé, voici plus de 1800 ans.





Cette randonnée, je crois que je m'en souviendrai. Malgré la pluie, le froid et même l'averse de grêle qui ont été notre lot ce jour-là, le reste fut mémorable. Le contact avec les élèves lors de ce type de journée est toujours particulier, précieux et enthousiasmant. Certains avaient pour mission de filmer la forêt (je leur avais prêté ma caméra) dans le but de réaliser par la suite un spot vidéo, complété par la sortie "Nettoyons la Nature" que nous avons faite une semaine plus tard, et dont le thème est la protection de l'environnement (vous vous en doutez, ce thème revient souvent dans mes cours, car il est essentiel).


Et je n'ai pas été déçu: ils se sont intéressés et vraiment donnés à fond, suivant avec discipline tous les conseils que je leur avais pourtant livré en vrac au préalable.





Tout comme ils ont écouté les explications sur le Wasserwald que je souhaite restituer ici, complétées par quelques lectures que j'ai pu faire.





Les sommets vosgiens, bien que recouverts de forêts, portent en eux des faits historiques, allant de la simple anecdote à l'histoire d'une civilisation. Car si les vestiges gaulois en constituent le fait le plus marquant, il ne faut pas oublier non plus la construction proche de châteaux datant du Moyen-Age (celui du Lutzelbourg, du Haut-Barr, du Geroldseck, du Greiffenstein), mais aussi la tour du Brotsch bâtie par le Club Vosgien à la fin du 19ème siècle. On pourrait également s'attarder sur l'utilisation éphémère des cavités naturelles, comme celle qui a abrité près d'une année des évadés Malgré-Nous non loin de Hultehouse, ou encore la grotte des Francs-Tireurs, qui porte mal son nom puisque ce sont les habitants de Garrebourg qui s'y sont réfugiés à l'approche des Allemands en 1870.





Mais revenons à la culture celtique des sommets vosgiens, présente au moment où la Romanisation se développe rapidement dans la plaine d'Alsace et sur le plateau Lorrain: routes, structures agraires, villae, mise en place des structures politiques de la Cité.


Le domaine de cette culture a l'aspect d'un croissant partant de la Petite Pierre au Nord et passant par Saverne, Phalsbourg, Hartzviller, Cirey-sur-Vezouze, jusqu'au massif du Donon, un des points culminants de cette superbe région montagneuse aux sommets érodés, caractérisée par son substrat de grès rose et découpée par un dense réseau hydrographique (Sarre Blanche, Sarre Rouge, Zorn Blanche, Zorn Jaune, Zinsel du Sud).


Cette partie des Vosges assure le contact entre le plateau lorrain et la plaine d'Alsace (la vallée de la Zorn et le Col du Hohwalsch en furent les axes privilégiés). A l'époque romaine, elle était traversée par la limite entre deux grandes provinces: celle de Belgique (province celte) et celle de Germanie.










  • L'origine des populations.


Avant que la romanisation ne s'opère, la région allant du plateau lorrain au Rhin était le domaine des Médiomatriques, avec pour capitale l'antique ville de Metz, alors appelée Divodorum.



Mais la venue de César en Alsace modifie les choses: il créé une cité pour le peuple des Triboques avec Brumath (Brocomagus) pour capitale. C'était bien avant que la ville soit célèbre pour son ciné.



Une gauloise médiomatrique posant sur les vestiges d'une maison au Wasserwald.





Les Gaulois Médiomatriques, bien que cédant des territoires aux Triboques et aux Romains, demeurent tout de même le fond de la population. On peut donc penser que ce sont eux, appelés également Celtes Médiomatriques, qui occupent les sommets vosgiens vers la fin du 1er siècle après J.C., peu après la conquête romaine.

  • Les villages

La plupart sont situés vers 400m d'altitude et jusqu'à 700m. Il s'agit de hameaux allant d'une douzaine d'habitations à plusieurs dizaines, selon un mode semi-dispersé. Elles sont entourées par quelques parcelles cultivées qui cèdent ensuite la place à la forêt, présente partout autour.



Ce sont les chemins qui structurent le village. Il y a d'abord un chemin principal bordé de murs, de 3-4m de large. Il mène aux sources et grâce à ses murs, il empêche le bétail de divaguer. Sur lui se greffent des enclos. Au Wasserwald, il est long de 800m!


        • Les maisons.

        Les Celtes vivant reculés dans les forêts ne s'inspiraient pas des habitudes romaines. Ils fonctionnaient avec une constance remarquable. Ainsi, ils n'utilisaient pas le mortier, les constructions sont en pierres sèches; la tuile est elle aussi quasi-absente: au Wasserwald, seuls deux bâtiments auraient été couverts de tuile.



        Les habitants utilisaient des matériaux issus de leur environnement proche: le grès rose, parfois extrait de petites carrières, et le bois: les Gaulois sont d'excellents charpentiers.

        Composée d'un mur de pierres sèches, sur lequel repose une sorte de colombage à son tour surmonté par la charpente, la maison est généralement munie d'une à deux pièces, dont le sol est formé par la roche en place. Outre la charpente et les colombages, le bois sert également aux entourages des ouvertures, portes et fenêtres, et peut parfois être décoré. On peut à coup sûr voir dans cette cabane gauloise l'ancêtre de la maison à colombages!

        • Les activités

        Outre l'activité qui existe autour de la carrière de grès, c'est le caractère agraire de cette culture des sommets vosgiens qui est le plus important. Il s'agit d'une agriculture de subsistance.

        Sur un sol très mince qu'il convient d'épierrer au préalable (créant ainsi des tas de pierres, les rottel), on cultivait les céréales, quelques légumes (oignons, ails), des farineux (lentilles, vesces), des plantes industrielles ou textiles (lin, chanvre), et peut-être des plantes tinctoriales.

        L'élevage était quant à lui constitué, outre la basse-cour, de bovins, porcins, ovins et chevaux. La forêt offrait ses pâturages à tous ces animaux, mais surtout aux porcs, emmenés à la glandée. Les fougères servaient de litière au bétail.

        Sans doute assez semblable à ce qu'elle est aujourd'hui, la forêt était donc essentiellement composée de hêtres, de chênes, de pins et de sapins. Les gens l'entretenaient et en tiraient le bois de construction et de chauffage; quelques outils y ont été découverts. La chasse et la cueillette enfin fournissaient un appréciable complément de nourriture.

        Peut-être le village comptait-il parmi ses habitants quelques "spécialistes": forgeron, charpentier, potier, sabotier... Certaiens s'adonnaient également à l'extraction de la résine de conifères pour la fabrication des torches, seul moyen d'éclairage alors connu.

        La vie sociale reposait sur des valeurs de solidarité et de complémentarité, sûrement mues par la faim, la crainte et la survie.

        • Les échanges.

        Du fait de l'importance et de la diversité des ressources locales, la population pouvait vivre en autarcie, assez fermée sur elle-même. La civilisation romaine n'a donc que très peu pénétré ces hauteurs arrondies: quelques rares pièces de monnaie ont été trouvées, ainsi qu'un peu de céramique.

        La culture et la transmission des savoirs est orale et les divinités mises à jour restent gauloises la plupart du temps, contrairement à celles de la plaine, largement romanisées.

        • Les croyances

        La religion est donc essentiellement celtique, gauloise. Plus que dans la plaine, les habitants sont restés fidèles aux dieux et coutumes de leurs ancêtres.

        Les Gaulois croyaient en l'immortalité de l'âme, enseignée par le druide (prêtre, juge et professeur) pour que les soldats n'aient pas peur de mourir à la guerre. Un monde de l'au-delà existe pour eux, mais aucun mot ne le désigne. De plus, ils ne savent pas trop où le situer: dans des îles fabuleuses? Sur la Lune?

        Le culte de la mort se traduit par une cérémonie traditionnelle, au cours de laquelle le défunt est incinéré et place dans une urne. Les sépultures sont des demeures d'éternité et leur plan d'ensemble correspond à celui de la maison et du temple (même chose pour tout le monde: vivants, défunts, dieux!).

        L'urne, faite de verre, de terre cuite ou de grès (parfois volontairement brisée) est accompagnée d'un gond de porte (le "passage") et d'armes de chasse pour les hommes, de bijoux pour les femmes. Le tout est placé dans un caisson de pierres protecteur.
        Au-dessus, la stèle rappelle par sa forme la hutte gauloise, agrémentée d'une ouverture, sorte de porte et de point de contact entre les vivants et les défunts, et par laquelle des repas sont offerts les jours d'anniversaire. La stèle est souvent décorée de symboles astraux (roues, croissants...) et entourée d'un muret.

        • Lieux de culte et divinités

        Traditionnellement, les sanctuaires sont représentés par la forêt elle-même. Quelques temples existent mais ils sont rares (il y en a un au Wasserwald).

        Les divinités perdurent ici malgré l'influence romaine. Mercure, appelé Teutates (et sa compagne Rosmerta), est le plus vénéré et assure la protection des activités agricoles, artisanales et de la communauté en général.

        Epona est la déesse protectrice des cavaliers, des chevaux et des voyageurs.

        A Wasserwald, Bucius, dieu au bouc, est à rapprocher de Mercure; et Nerius, dieu des eaux, est à rapprocher d'Apollon (dieu guérisseur?).

        Enfin, un cavalier au géant anguipède, typique chez les Celtes Médiomatriques, a été retrouvé au niveau de la ferme. Il s'agit d'un Jupiter à cheval terrassant un géant barbu doté d'une queue. La cavalier tient dans une main la foudre, et la roue solaire dans l'autre, représentations d'un vieux mythe indigène issu des populations locales antérieures aux Celtes! La foudre et la roue solaire symboliseraient les forces célestes terrassant le monde souterrain, la stérilité, et attirant la prospérité des cultures et la clémence météorologique.

        Pourquoi les sites furent abandonnés, comme par exemple au Wasserwald vers 250? Peut-être est-ce la conséquence d'un changement de mentalité, de l'insécurisation croissante de la plaine, ou plus simplement la conséquence d'un épuisement des ressources de ce type de lieux peu fertiles.

        Ainsi, le monde antique de nos sommets était caractérisé par une vie humaine modeste et sans doute difficile, organisée par des structures agraires, des formes d'habitat et des croyances très celtiques entre des régions romanisées.

        La beauté et la part de mystère qui accompagnent ces lieux me font flirter avec l'origine nébuleuse de notre propre existence chaque fois que je m'y aventure.